18 juin 2025, un grand jour pour Nicolas Fery qui défend le mémoire qui valide son master en sciences de l’éducation : “Du dehors au dedans : entre prison mentale et prison carcérale”.
Ce qu’il ne sait pas, c’est que c’est aussi un jour important pour notre association Transition Justice et Dialogue, parce que c’est la validation de ce que nous percevons depuis 2018.
En effet, la rigueur de l’étude est saluée par les membres du jury, notamment grâce à la triangulation des résultats reconnus par les participants eux-mêmes, qu’ils soient encore détenus ou qu’ils se soient réinsérés, mais aussi par des membres du personnel de surveillance ou psycho-social, ainsi que par des directeur·ices.
Le mémoire de Nicolas porte sur la question suivante :
“Comment l’utilisation de l’ennéagramme en formation peut-elle favoriser la reconstruction identitaire et la réinsertion des personnes incarcérées ?”
Et quand il me demande de l’accompagner dans ce travail, je suis très excitée.
Durant nos rencontres, je précise que, bien sûr, l’ennéagramme est le fil conducteur des cycles que nous animons, qu’il permet de comprendre pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Mais j’insiste aussi sur un point essentiel : le regard bienveillant que nous apportons et encourageons, la capacité à conscientiser ce qui se passe en nous, à l’accueillir, à le questionner et à le transformer quand c’est utile, notamment dans nos relations.
Pendant tout ce travail, j’attends avec impatience la partie relative aux résultats. Il est très clair entre nous dès le départ que, peut-être, les résultats n’iront pas dans le sens supposé. Quoi qu’il arrive, pour notre association TJD, les informations seront utiles.
Ce qui se dégage, c’est que la grande majorité des participants ont confié à Nicolas qu’ils avaient désormais une autre lecture de leur passé et qu’ils comprenaient mieux leurs comportements antérieurs.
Du côté des membres des services psycho-sociaux, on remarque qu’il y a des discussions au préau entre participants au sujet de leurs apprentissages, réactions… et c’est reconnu comme quelque chose d’important.
De plus, la grande majorité des membres du personnel reconnaît que la prise de conscience et la réflexion sur soi n’existe de manière aussi visible, que dans le cadre de l’ennéagramme. Ils font aussi référence aux liens de compréhension de leur comportement par rapport à l’événement déclencheur et, pour beaucoup, à l’entourage.
Nicolas souligne aussi l’importance du groupe comme support à la réflexion, notamment l’intervention d’un détenu : “C’est ça la beauté du truc, je pense. C’est d’apprendre à se connaître les uns les autres”.
Les participants voient également une rupture par rapport à leurs perceptions antérieures : “Quand je vois l’ennéagramme et tout je me dis putain, t’as bien avancé, t’es quelqu’un … Je pense que je suis quelqu’un de bien, maintenant. Peut-être pas avant, mais je pense que je suis quelqu’un de bien”.
Un autre élément qui semble avoir fait l’objet d’un changement est le développement de l’empathie, qui s’applique aussi aux agents, à leur famille et également aux victimes.
“J’ai conscience que j’ai fait peur à des gens, j’ai fait mal à des gens et que ces gens ne méritaient pas ça”.
En parallèle au développement de l’estime de soi et de l’empathie, à l’exception d’une personne, tous les participants ayant vécu une incarcération ont exprimé avoir de meilleures relations à la suite de la formation. Ces relations peuvent être d’ordre familial, avec les agents ou entre personnes détenues.
“Quand un truc ne va pas ici, je téléphone à mon papa … avant, je ne téléphonais même pas”.
“Ça a vraiment aidé de nouer des relations”.
“J’ai fait des démarches pour voir les parties civiles”.
“Ils étaient beaucoup plus compréhensifs … prenaient le temps de parler avec les personnes qui ont un peu difficile… qui n’ont pas de visite”.
Un agent dit aussi : “Quand je dois faire face à une petite intervention, ou à un début de crise, j’ai une approche beaucoup plus facile après ça”.
En termes de réinsertion, Nicolas mentionne l’ennéagramme comme un levier. Les participants libérés mentionnent des facteurs favorables :
– Se projeter autrement
“Et ça m‘a permis de changer énormément … me dire tu travailles … moi jamais je n’aurais travaillé dehors, je n’ai jamais travaillé de ma vie”.
“Ce que j’ai vu aussi chez les autres, maintenant qu’ils sont à l’extérieur … si on fait cette formation, on ne va pas dire obligé mais il y aurait moins de récidive”.
“J’ai pu entrevoir un autre avenir”.
“J’ai installé encore une fois grâce à la formation des automatismes qui font que ça me simplifiera la vie maintenant”.
Un outil pertinent mais partiel : le regard du personnel pénitentiaire
“Ce n’est pas l’outil miraculeux. Mais je pense qu’il apporte beaucoup même si on ne s’en rend pas compte”.
“Petit à petit s’est construit une sorte de cartographie, une sorte de trousseau de clé pour les détenus avec l’ennéagramme”.
Regard croisé – des effets reconnus, une approche plurielle à consolider
La triangulation des données met en évidence l’utilité de l’ennéagramme pour la réinsertion. Néanmoins, il apparaît que c’est l’ensemble de l’environnement qui détermine la réussite de la réinsertion.
En conclusion, Nicolas souligne que ce mémoire avait pour objectif de mettre en lumière les éventuelles contributions de l’ennéagramme en tant qu’outil de réinsertion et de reconstruction identitaire.
Il précise que, lorsque cet outil est utilisé dans un cadre bienveillant et sécurisant, il peut se montrer bénéfique.
Ces plus-values sont à envisager comme le résultat d’une convergence entre l’outil, le cadre institutionnel, la dynamique de groupe et l’accompagnement social, et ces différents éléments semblent produire des conditions favorables à une transformation.
Pour notre association Transition Justice et Dialogue, ce mémoire confirme les transformations dont nous avons pu être témoins depuis 2018 ainsi que nos intuitions : en travaillant de manière structurelle, nous contribuons à transformer le temps de peine en opportunités de conscience de soi et des autres, de réparation qui permettent de retisser des liens.
Cécile Berny